Les bataillons scolaires

Si les bataillons scolaires sont institués, en France, par le décret du 6 juillet 1882, il ne fait que valider une pratique qui se répand de plus en plus dans le pays depuis la fin de la guerre de 1870. De nombreuses communes ont déjà développé la pratique de la gymnastique et des exercices militaires dans leurs établissements d’instruction publique primaire ou secondaire. 
La défaite cinglante de la France en 1871 et la perte de l’Alsace et de la Lorraine ont engendré un vif sentiment de revanche. Le pays est exsangue et l’armée humiliée a beaucoup perdu de sa crédibilité. Mais aux initiatives du gouvernement pour restaurer le potentiel militaire du pays, s’ajoutent de nombreuses initiatives privées dont le seul but est de ranimer la flamme des bataillons de l’espérance, qui ont vu le jour sous la Révolution française. La génération des vaincus veut rallumer, dans les générations à venir, le feu sacré qui a tant manqué aux soldats battus à Sedan et à Paris. L’espoir de la revanche appartient aux enfants, et les adultes ont désormais le devoir de préparer la jeunesse au prochain conflit qui rendra son honneur à la France. 
La loi de 1882, qui comprend de nombreux articles, prévoit une préparation dès l’école primaire afin d’incorporer les enfants dès l’âge de douze ans au sein des bataillons scolaires. Ces bataillons sont organisés de façon militaire.

Une tenue militaire

L’uniforme n’est pas une obligation, mais le port de ce dernier est vivement encouragé par les maires des grandes agglomérations.

Aucun modèle particulier n’est décrit dans les différents textes qui régissent l’organisation des bataillons. Mais à l’instar de la ville de Paris, dans la majorité des cas l’uniforme adopté par les bataillons scolaires des grandes villes est constitué d’une veste de drap bleu, d’un pantalon gris fer et d’un béret de marin, marqué du nom de la ville. 

L'arme règlementaire

L’armement est beaucoup mieux décrit, il évolue suivant l’âge de l’enfant, allant du simple fusil de bois, tout juste bon au maniement d’arme, au fusil de cadet, tirant une cartouche réduite du fusil réglementaire Matricule 1874, en passant par divers modèles d’armes de manœuvre ou de tir réduit. 

Les fêtes républicaines

Les instituteurs assurent l’instruction. Ils sont souvent assistés dans cette tâche par d’anciens militaires de carrière et aidés par la lecture de nombreux ouvrages de théorie qui apparaissent au début des années 1880. Dès leur formation, les bataillons scolaires participent à toutes les manifestations publiques. Mais ils brillent surtout lors des grandes fêtes républicaines comme le 14 juillet. 

Une fin dans la polémique

A leur création, les bataillons portent l’espoir de tout un peuple et la France vibre aux sons de leurs tambours et de leurs clairons. Mais leur instauration va vite déchaîner les passions. Le clergé voit d’un très mauvais œil la pratique des exercices militaires au sein de ses établissements privés.
L’armée supporte mal de voir le ministère de l’instruction publique s’immiscer dans ses affaires et les partis de gauche crient au populisme. Face à des adversaires aussi nombreux et puissants, le mouvement s’essouffle rapidement. D’autant que l’organisation et l’entretien de ces bataillons d’enfants grève d’importance le budget des communes.
En 1892, c’en est fini des bataillons scolaires. Les armes disparaissent dans les combles des écoles, les uniformes partent chez les chiffonniers. 
Les bataillons scolaires ne disparaissent pas tous. Des communes de l’est de la France garderont leurs petits soldats jusqu’au début des années 1900.
Il reste de cette époque de nombreux vestiges : des armes, fusils de bois ou armes de tir, versions réduites des fusils réglementaires du temps, mais aussi de nombreux souvenirs et des objets du quotidien qui évoquent la ferveur populaire qui enflamma les foules dans les premières années de vie des bataillons scolaires. 
Des sociétés de tir et gymnastique prendront le relais des bataillons scolaires, entretenant de ce fait la fibre patriotique et le côté « tu seras soldat ».    
Mais c’est une autre histoire…. !

Les décrets de 1882

Décret relatif à l’instruction militaire et à la création de bataillons scolaires
dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire

(6 juillet 1882)

Art. 1er. Tout établissement public d’instruction primaire ou secondaire ou toute réunion d’écoles publiques comptant de deux cents à six cents élèves, âgés de douze ans et au-dessus pourra, sous le nom de bataillon scolaire, rassembler ses élèves pour les exercices gymnastiques et militaires pendant toute la durée de leur séjour dans les établissements d’instruction.

Art. 2. Aucun bataillon scolaire ne sera constitué sans un arrêté d’autorisation rendu par le préfet. Cette administration ne pourra être accordée qu’après que le groupe d’enfants, destiné à former le bataillon, aura été reconnu capable d’exécuter l’école de compagnie. Il sera procédé à cette constatation par les soins d’une commission de trois membres, savoir, deux officiers désignés par l’autorité militaire et l’inspecteur d’académie ou son délégué.

Art. 3. Tout bataillon scolaire, après sa constitution, devra être inspecté, au moins une fois par an, par la commission désigné à l’art. 2.

Art. 4. Tout bataillon scolaire recevra du Ministre de l’Instruction publique un drapeau spécial qui sera déposé, chaque année, dans celle des écoles dont les enfants auront obtenu, au cours de l’année, les meilleures notes d’inspection militaire.

Art. 5. Chaque bataillon scolaire se composera de 4 compagnies, dont chacune comprendra au moins 50 enfants.

Art. 6. Ne pourront faire partie du bataillon les élèves que le médecin attaché à l’établissement aura déclarés hors d’état de participer aux exercices gymnastiques et militaires du bataillon.

Art. 7. Tout bataillon scolaire est placé sous les ordres d’un instructeur en chef et d’instructeurs-adjoints désignés par l’autorité militaire.

La répartition des élèves dans les diverses compagnies est faite sur la proposition des chefs d’établissements par l’instructeur en chef.

Art. 8. Un maître au moins de chaque établissement scolaire, dont les élèves font partie du bataillon scolaire, devra assister aux réunions du bataillon. Ces réunions  auront lieu, sans autorisation spéciale de l’Inspecteur d’Académie, en dehors des heures de classe réglementaires.

Art. 9. Le bataillon scolaire ne pourra être armé que de fusils conformes à un modèle adopté par le Ministre de la Guerre et poinçonnés par l’autorité militaire. Ces fusils, dont la fabrication sera abandonnée à l’industrie privée, devront présenter les trois conditions suivantes : n’être pas trop lourds pour l’âge des enfants ; comporter tout le mécanisme du fusil de guerre actuel ; n’être pas susceptibles de faire feu même à courte portée. Les fusils seront déposés à l’école.

Art. 10. Pour les exercices de tir à la cible, les élèves des bataillons scolaires âgés de 14 ans au moins et que l’instructeur en chef aura désignés comme aptes à y prendre part, seront conduits au stand ou au champ de tir et y seront exercés avec le fusil scolaire spécial dans les conditions qui seront réglées par un arrêté des Ministres de la Guerre et de l’Instruction publique.

Art. 11. Aucun uniforme ne sera obligatoire. Les uniformes qui pourraient être adoptés par les bataillons scolaires devront être autorisés par le Ministre de l’Instruction publique. Les caisses des écoles pourront seules être autorisées par le Préfet à fournir aux élèves, dans des conditions à déterminer par des règlements locaux, tout ou partie des objets d’habillement jugés nécessaires.

Art. 12. Les établissements libres d’instruction primaire et secondaire, qui déclareront se soumettre à toutes les prescriptions du présent décret, sont autorisés, soit à incorporer leurs élèves dans le bataillon scolaire du canton, soit, si leur effectif est suffisant, à former des bataillons scolaires distincts qui seront à tous égards assimilés à ceux des écoles publiques.

 

Art. 13. Les Ministres de la Guerre, de l’Instruction publique et de l’Intérieur, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret.

 

Par le président de la République

Jules GREVY

Le Ministre de la Guerre     Le Ministre de l’Instruction publique    Le Ministre de l’Intérieur

 Jean-Baptiste BILLOT                      Jules FERRY                                   René GOBLET

 

 

 

Arrêté portant règlement sur l’exécution des exercices de tir dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire

(6 juillet 1882)

Les Ministres de la Guerre, de l’Instruction publique et de l’Intérieur,
Vu le décret en date du 6 juillet 1882 ;

Arrêtent :

Dispositions générales.

Art. 1er. Les fusils scolaires, destinés aux exercices scolaires et mis en service en raison de trois par école, seront, ainsi que les munitions, déposés soit dans les casernes de gendarmerie, soit dans les magasins des corps de troupe, suivant les ordres de l’autorité militaire.

Art. 2. Ces armes ne seront délivrées que les jours des exercices préparatoires ayant pour but de démontrer le maniement du fusil devant la cible, le pointage et les positions du tireur.

Art. 3. Les fusils et les munitions nécessaires pour le tir de la journée seront remis à l’instructeur militaire, sur sa demande écrite et motivée.

Art. 4. L’instructeur militaire prendra, de concert avec les chefs des établissements scolaires, les dispositions nécessaires pour faire transporter, dans de bonnes conditions, les armes et les cartouches sur le terrain de tir, et pour les faire rapporter à la caserne, et, s’il y a lieu, pour faire transporter les cartouches du centre de fabrication à la caserne de gendarmerie.

Art. 5. Les armes seront nettoyées et réintégrées au lieu de dépôt, le jour même de chaque exercice, par les soins de l’instructeur militaire ; remise sera faite en même temps, des cartouches non consommées.

Art. 6. Dans chaque subdivision de région, l’autorité militaire désignera les corps de troupes chargés de fournir les cartouches aux groupes scolaires qui désireront pratiquer le tir réduit. Après les tirs, les étuis vides seront rapportés aux corps désignés pour être rechargés par leurs soins, s’il y a lieu.

Art. 7. Le prix de cession de l’étui est fixé à 0f.04. Celui du chargement, y compris le nettoyage des étuis et la fourniture des divers éléments qui le composent, est de 0f.009 par cartouche. Ces dépenses, ainsi que les frais de transport, seront à la charge des établissements scolaires.

Art. 8. Il sera alloué aux corps par cartouche livrée aux écoles une somme de 0f.002, dont 0f.001 pour les frais de combustible, etc., et 0f.001 pour le personnel subalterne qui procèdera au chargement. Cette allocation sera payée sur les fonds de l’armement et devra être comprise dans le relevé des dépenses annuelles effectuées pour ce service par les corps.

Art. 9. Les demandes de délivrances de cartouches scolaires ou de chargement d’étuis vides, établis en triple expédition et conformes au modèle ci-contre, seront adressées par les inspecteurs d’Académie aux généraux commandant les subdivisions de région, qui les transmettront pour exécution aux corps désignés à cet effet.L’une de ces expéditions sera conservée au corps, la seconde sera envoyée à l’inspecteur d’Académie, et le troisième au Ministre de la Guerre. Toutes les trois porteront le récépissé de l’instructeur militaire.

Art. 10. Ces demandes seront totalisées par les soins de l’Administration de la Guerre ; la dépense totale sera indiquée au Ministère de l’Instruction publique, qui en remboursera le montant annuellement.

Exécution du tir.

Art. 11. Le tir réduit avec le fusil scolaire s’exécute en employant trois lignes de mire, savoir :

De 10 à 20 mètres : employer la ligne de mire qui passe par le sommet du guidon et le cran du talon de la hausse couchée (ce cran porte l’indication 10 à 20) ;

A 30 mètres : employer la ligne de mire qui passe par le sommet du guidon et le cran inférieur de la planche de la hausse levée (ce cran porte l’indication 30) ;

A 40 mètres : employer la ligne de mire qui passe par le sommet du guidon et le cran du curseur abaissé, la planche de hausse étant levée (un trait, affleurant le bord supérieur du curseur abaissé, est tracé sur le côté droit de la planche, et l’indication 40 est inscrite au-dessus).

Art. 12. La cartouche de tir réduit pour fusil scolaire comprend :

1° Un étui vide de cartouche modèle 1874, raccourci de 0m ,01 ;

2° Les divers éléments nécessaires au chargement :
1 amorce ;
1 couvre-amorce ;
1 balle sphérique en plomb de 8 gr. 70 
1 charge de poudre de 0 gr. 4.
Cette cartouche est chargée exactement comme la cartouche de tir réduit ordinaire.

Art. 13. Chaque enfant susceptible de prendre part aux exercices de tir réduit, dans les écoles où ces exercices auront été organisés, pourra tirer au maximum cinq séries de 6 balles, soit 30 cartouches par an. Il ne sera jamais tiré, dans la même séance, plus de 6 cartouches par enfant.

Art. 14. Avant de commencer une série de six coups, on aura soin de huiler fortement l’intérieur du canon, afin de faciliter le glissement de la balle ; cette précaution est indispensable. L’expérience a montré que le graissage de la balle nuisait à la justesse. Si, dans le tir, une balle restait dans le canon, on l’enlèverait avec la baguette et on huilerait de nouveau le canon. L’intérieur du canon, la chambre et la culasse mobile seront soigneusement nettoyés après chaque séance de tir.

Art. 15. Les grandes précautions seront recommandées pendant les exercices des tirs. Il sera toujours préférable de construire un stand peu coûteux, analogue à ceux qui sont décrits dans l’instruction ministérielle du 27 janvier 1882, sur la confection et le mode d’emploi des cartouches de tir réduit. L’établissement d’un stand sera obligatoire pour les tirs au-delà de 20 mètres, exécutés soit dans des cours, soit près des habitations. Les généraux commandant les subdivisions de région donneront aux corps de troupe sous leurs ordres des instructions pour qu’ils fournissent aux directeurs d’école, qui le demanderont, tous les renseignements nécessaires sur la construction de ces stands.

Art. 16. Le tir réduit pourra exceptionnellement être exécuté en rase campagne : dans ce cas, la direction de tir ne devra rencontrer, à moins de 450 mètres de la cible, ni route, ni canal, ni voie ferrée, ni habitation. On tirera, s’il est possible, contre une butte en terre naturelle ou artificielle. Les habitants devront être prévenus avant chaque séance, par les soins de l’autorité municipale, du jour, de l’heure et de l’endroit choisis pour l’exercice.

Art. 17. Les généraux commandant les subdivisions mettront autant que possible les champs de tir à la disposition du bataillon scolaire.

 

Le Ministre de l’Instruction publique

Jules FERRY

 

 

Le Ministre de la Guerre                                                          Le Ministre de l’Intérieur

Jean-Baptiste  BILLOT                                                                  René GOBLET

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